Marianne, 5 juillet 1933
Marianne, 5 juillet 1933
Que dire des quatre airs du film « Don Quichotte » dont un excellent écrivain, M. Alexandre Arnoux, a fait les paroles, un excellent musicien, M. Jacques Ibert la musique, qui sont chantés par un Chaliapine, édités avec la perfection que sait apporter à ces choses-là la maison « Gramophone » ? Le concours de tant de talents devrait nous assurer un plaisir sans mélange.
Mais vous n’ignorez pas, pour peu que vous aimiez le cinéma, qu’une fatalité pèse sur tous les films inspirés d’un chef-d’œuvre de la littérature. Au vrai, les expériences ont été si nombreuses et si concluantes en ce sens, qu’on s’étonne qu’il y ait encore des cinéastes (et je dis : de qualité) pour tomber dans ce panneau. Veuillez considérer quelles ont été les réussites les plus grandes et les plus légitimes du cinéma, depuis ses origines. Elles n’ont pas été demandées aux « Trois mousquetaires », « aux Misérables », à « Faust », à Hamlet, mais bien à des romans et à des contes de troisième zone, dont la manière était assez impondérable pour ne jamais peser sur la veine du cinéaste. Regardez ce qu’il y a eu, au départ, de Caligari, de Variétés, de « Nuits de Chicago » de « Ruée vers l’or », et de tant d’autres films dont les noms marquent les étapes du cinéma, dans sa naissance et sa croissance.
Pour apprécier sans injustice le rude et vigoureux travail qui fut demandé dans le cas de « Don Quichotte, au poète et au compositeur, il nous faudrait oublier Cervantès et Don Quichotte. Pas moins. Ceci dit, ces deux petits disques sont pleins de grâce et d’agréments.
Par ailleurs, c’est toujours une aventure et une expérience inestimable, que d’entendre la voix de Chaliapine aux prises avec la langue française. Il semble que, tout à coup, le grand artiste se voie retiré le terrain sous les pieds ; je veux dire que privé des articulations solides et des riches consonnes du Russe, de l’allemand ou de l’italien, il erre, sans sutien matériel, dans une langue trop coulante, dont il exagère encore la fluidité, jusqu’à la « manière ».
Nous le retrouvons avec joie dans un prodigieux, un inestimable « hymne de pénitence »(Gramophone ), qu’il chante avec les chœurs de l’Eglise métropolitaine russe de Paris sous la direction de M. Afonsky.
Je vous ai parlé récemment de l’édition Odéon des « Lamentations d’Amfortas, tirées du premier acte de « Parsifal », et enregistrées par M. Rouard. Le manque d’entente entre les éditeurs fait que voici le même morceau, chanté par M. Singher, de l’Opéra, chez Gramophone. J’ai longuement et vainement comparé ces deux enregistrements. Il m’est difficile de manifester une préférence pour l’un ou pour l’autre. Ici encore, la voix, ( un peu plus nasale et nasillarde que celle de M. Rouard) est belle, sans contraste, mais l’expression dramatique n’est pas à la hautur de la qualité du son, le sens du texte chanté est moins respecté que la pureté de la note. Or, nous demandons au chanteur wagnérien d’être un acteur tragique. Amfortas traîne, depuis des années, la plaie mystique et attend vainement, du Saint Graal, une guérison qui serait une absolution. Quand il s’approche de l’autel, pour tenter une fois de plus l’épreuve décisive, et qu’il prononce cette phrase : « L’instant approche, le voile tombe... »-ce devrait être terrible.
Détail curieux, la même scène, qui prend un grand disque, chez Odéon, tient, sans coupure, dans un petit disque Gramophone. C’est dire que le mouvement y est 20% plus rapide.
Jean Richard BLOCH