Marianne, 31 Mai 1933
Marianne, 31 Mai 1933
Par réaction contre le poncif .académique, le nu peloteur, les chairs savonneuses et le portrait photographique la peinture s’est rejetée, depuis trente ans, vers la recherche de l’expression. Elle n’a pas reculé devant la laideur provocante. Combien de figures gauches, de bonnes-femmes et de bonshommes verts, jaunes, violâtres, combien d’épaules scrofuleuses, de bras gourds, de pieds plats, de fesses pendantes, avons-nous dû encaisser, dans notre bonne volonté à soutenir l’insurrection de la jeune peinture contre les mièvreries et le léché de l’Ecole officielle
L’art du chant nous réserverait-il pareille aventure ? Bien des signes le font supposer. Nous voyons venir une forte réaction contre les fadeurs du « Bel Canto » et les emphases du « grand air ». Il semble que le diseur s’insurge contre le fort ténor, l’expression contre la rondeur, la parole contre le son, le sens contre le bruit, la syllabe mordue contre la voyelle enflée, le petit vin contre l’étiquette de grand cru, le vitriol contre le sirop.
L’ « Opéra de Quat’sous », « Mahagonny », les derniers succès de la chanson, nous font assister à des expériences bien curieuses. Le chanteur s’établit, avec une prédilection sadique, aux lisières de la fausse note. Il « chatouille le coma ». On réveille notre palais blasé par des sons acides et inquiétants. Résurrection de la goualante un peu crapuleuse.
Signalons, à ce point de vue, les récents enregistrements de Mlle Marianne Oswald, chez « Columbia » : « Chant des Canons », charleston chanté, tiré de l’ « Opéra de Quat’sous » (DF 1.115), et « Surabaya Johnny », blue chanté, du même compositenr, Kurt Weill (DF 1.114). Sur ce dernier disque, l’autre face donne le « Grand Etang », vieille chanson, musique nouvelle (de Honegger). La recherche raffinée de l’accent vulgaire y est poussée fort loin.
(« Nota bene » : aiguilles sourdines !).
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Sur le même catalogue « Columbia » , un Raimu- César fait de l’auto, sketch humoristique (sic), - dont il vaut mieux ne rien dire, par égard pour l’excellent acteur ; un Milton, (l’Auberge du Cheval blanc), dont je ne parlerai pas davantage ; un Layton et Johnston, Sou it isn’t so, qui doit être pour eux du « bon ordinaire » ; un Lys Gauty (ma Chérie), où cette artiste expressive ’n’est’’ pas soutenue par des textes et des musiques dignes de son talent.
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L’occasion n’est pas mauvaise pour demander à « Polydor », dont l’activité, le zèle artistique, sont si remarquables pourquoi il ne nous fait plus réentendre deux voix ,qui ont traversé comme des météores l’enregistrement phonographique. L’une est celle de. Mme Xenia Belmas, de l’Opéra, à qui nous devons un des disques de chant les plus satisfaisants que je connaisse, avec deux admirables mélodies de Tchaïkowsky (« Polydor », 66.999), l’autre, celle de Mme Sigrid Onégin, du Métropolitan Opéra de New-York, dans le « Brindisi » de « Lucrèce Borgia », de
Donizetti, et, dans un air du « trouvère » (Polydor, 590.002). La musique était bien banale, mais ce que cette voix et cette nature en faisaient était inimaginable.
Jean Richard BLOCH