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SIEGFRIED, DE WAGNER

Marianne, 26 juillet 1933

Article mis en ligne le 17 octobre 2010

Marianne, 26 juillet 1933

Unissons notre plainte à celle de plusieurs de nos confrères. En voici le sujet : le catalogue anglais de Gramophone depuis longtemps, une édition justement admirée de « Siegfried » et notamment, au 1è acte, « Le chant de la forge », avec le ténor Melchior et le London Symphony Orchestra, direction Coates. Nous attendions l’apparition de cet enregistrement dans les catalogues de la firme française. (Une des conséquences du cloisonnement et des protectionnismes d’après-guerre est de rendre difficile à l’acheteur la commande des disques étrangers, quand bien même son pays possèderait une filiale de la maison éditrice.)

Enfin, voici ce fameux Notung, « neidliches Schwert ! » Désillusion. Les dirigeants de Gramophone, que nous avons toujours rencontrés jusqu’ici, hardis et intelligents, n’ont pas jugé le public français susceptible d’entendre cette magnifique scène d’un bout à l’autre, ils nous en octroient un simple fragment, interrompu soudain, sur une phrase de Mime, sans que cette coupure ait le moindre sens, sot théâtral, soit harmonique.

L’édition anglaise occupe deux faces d’un grand disque, et, en outre, si mes souvenirs ne me trompent pas, la première face d’un second disque. Ici les éditeurs se sont contentés d’une seule face, pour tout potage. La seconde est consacrée, avec le même Melchior, au « Chant de Concours », des « Maîtres chanteurs ». Assurément, c’est de premier ordre. Mais ces deux fragments, arbitrairement découpés, n’ont aucune raison de se trouver accolés.

Supposez que, pour me donner une idée du Rhône, vous me conduisiez devant un bassin alimenté par une dérivation du fleuve. Mêmes eaux, me diriez-vous. Oui, mais où sera le Rhône.

Ce « Chant de la Forge » est un fleuve. Il en a le flux inépuisable, sans cesse renaissant. Ici, la « quantité » s’intègre rigoureusement à la « qualité ». Comme en tout ouvrage excellent, elles sont inséparables. Jamais photographie, si bonne qu’elle fût, ne donna une juste idée du Parthénon, du dôme de Brunelleschi ou du Pont du Gard, parce que les dimensions exactes d’un monument parfaitement heureux, font partie de ses proportions d’une façon organique. L’ouvrage a été conçu pour une échelle de grandeur et non pour une autre.

Vous pouvez reproduire le Lion de Belfort sous forme de presse-papier, mais non « Les Esclaves » de Michel Ange. Réfléchissez à cela, imaginez encore Notre Dame réduite d’un tiers. Vous comprendrez pourquoi, en pratiquant d’ordinaire des coupures dans la scène de la Forge, notre opéra se montrait plein de charité envers les ténors de sa troupe, mais dénaturait l’œuvre de Wagner au-delà de ce que l’on peut imaginer.

Il a fallu que Von Hosselin vint nous apporter Bayreuth à Paris, en 1930, pour que les français découvrissent ce premier acte de Siegfried, dans sa plénitude native.

Je vous signale deux bonnes éditions de la même scène, chez Pathé, (Pathé-Art, 31 centimètres), orchestre, direction Von Hosselin, avec le ténor Kirchhoff, à la voix si mordorée et sale, et chez Columbia (deux faces d’un disque de 25 centimètres), en frange avec le ténor Frantz.

Jean Richard BLOCH


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