Marianne, 7 Juin 1933
Marianne, 7 Juin 1933
Pour nous orienter parmi les enregistrements de Mozart, nous possédons trois guides de choix : d’abord le vaste recueil de M. Charles Wolff que j’ai déjà eu l’occasion de vous signaler (Disques, 1 vol., 1033, chez Pierre Roger, éditeur) ; ensuite les très précieuses listes que M. Buenzod et M. Henri Ghéon ont eu l’idée d’ajouter en appendice, l’un à son excellent petit Mozart, si intelligemment illustré (Editions Rieder), l’autre à ses passionnantes Promenades avec Mozart (1 vol. 1932, Desclée, de Brouwer, éditeurs).
Voici le quatuor à cordes en sol majeur (N° 387 du catalogue Koechel de l’oeuvre de Mozart). Columbia en met en vente un enregistrement par le quatuor Lener (LFX 278 à 281). Il y a deux ans, Polydor avait fait enregistrer, par le quatuor Guarnerie, le Menuet et le Finale seuls de cet ouvrage, en un disque (95.320), que M. Wolff signale dans son recueil, et qu’on peut recommander à ceux qu’effrayerait l’achat de quatre grands disques.
La liste de M. Buenzod, établie en 1930, ne mentionne pas le quatuor qui nous occupe aujourd’hui. Dans celle de M. Ghéon, il est signalé, chez Columbia, sous les numéros LX 24 à 27, qui doivent correspondre au catalogue. Je suppose que l’enregistrement est celui-là même que la branche française de la même maison nous offre aujourd’hui.
Mozart a 26 ans. Le jeune prodige vient de rencontrer Haydn, de vingt. quatre ans plus âgé que lui. Et Mozart devait écrire plus tard : « Haydn fut le premier qui m’ait enseigné la manière d’écrire un quatuor. » Lisez, aux pages 207 et 208 de son livre, ce que M. Ghéon écrit des quatuors que Mozart compose à cette époque. Je voudrais avoir la place de citer ces deux pages profondes et spirituelles. Plus précisément, sur l’ouvrage en question, je lis : Il est le plus savant de tous, surtout son finale, nettement fugué. Le départ à une seule voix, sévère, concentré, les réponses toujours claires, le débat transpercé de traits, qui oscille entre la pénombre et le plein jour, et tout à coup la folle et délicate ritournelle qui, dès le second tour, roule sur une gamme montante comme un sauteur qui prend élan sur son tremplin : avec quatre instruments frottés, toute une fanfare lointaine de village ; alors, les quatre voix repartent, suivant chacune son chemin.
Le quatuor Guarneri, dans les deux parties qu’il a imprimées chez Polgdor, tirait ces passages vers le style italien ou tzigane, les sous-filés, les vibrato, les grandes coulées plaintives ou félines de l’archet. Cela n’était ni sans grâce, ni sans piquant, ni tout à fait sans vérité.
Mais quelques-unes des qualités les plus rares de Mozart s’y trouvaient bousculées. si je puis dire.
Le quatuor Lener reste plus fidèle à la tradition classique. Toutefois, par la faute de l’enregistrement. ou de l’exécution, je ne sais, le son est, par endroits, timide. Le violoncelle, en particulier, est d’une discrétion sonore excessive. Dans l’ensemble, leur jeu vous apparaîtra un peu édulcoré. Cette restriction faite, tenez sans hésitation ces quatre disques comme une fort belle chose. Mais n’hésitez pas non plus à employer l’aiguille forte.
Et je m’en voudrais de terminer ces notes sans avoir rappelé à votre souvenir ce prodigieux Concerto pour violon, N° 7, en ré majeur édité l’an passé (quatre grands disques Gramophone) et joué par le génial .Menuhin, l’orchestre étant dirigé, au-dessus de tout éloge, par M.Enesco. « concerto contestable et récemment exhumé », dit M.Buenzod. ses exécutants en font une oeuvre qui ne se conteste plus. Si elle n’est pas de Mozart, de qui pourrait-elle bien être, sinon d’un musicien « aussi grand » que lui.
Jean Richard BLOCH