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Le concerto en ré majeur pour violon et orchestre de Beethoven

Marianne, 16 août 1933

Article mis en ligne le 20 octobre 2010
dernière modification le 19 octobre 2010

Marianne, 16 août 1933

( ...)Beethoven, « Concerto en ré majeur pour violon et orchestre ».

1) Edition « Columbia », Joseph Szigeti, violoniste et le British Symphony Orchestra, direction Bruno Walter.

2) Edition « Gramophone », Fritz Kreisler, violoniste et l’orchestre de l’Opéra de Berlin, direction Léo Blech.

J’ai la double faiblesse ou le double cynisme de regarder ce « Concerto » comme un des sommets de la musique, et de le dire. Peu d’œuvres m’inspirent une inspiration plus joyeuse, excitent en moi un sentiment plus religieux. Peu d’ouvrages offrent une simplicité comparable, une noblesse d’inspiration étroitement mêlée à la grâce intime, à la poésie populaire, à la tendresse.

Les cinq disques « Columbia », parus cette saison, nous donnent l’occasion d’une comparaison curieuse avec les cinq disques et demi « Gramophone », édités il y a quelques années. La douzième face de l’enregistrement « Voix de son maître », est occupée, assez malencontreusement, par une « Partita » de Bach, jouée par Kreisler. On comprend pourquoi je dis malencontreux : je n’en ai ni à Bach, ni à Kreisler, on s’en doute aisément : j’en ai au panachage, qui fait coexister, sur les deux faces d’un même disque, deux auteurs, deux ouvrages, qui, si grands soient-ils, n’ont rien à faire ensemble, compliquant la recherche, le classement et la vente.

Du point de vue technique, l’édition « Columbia », mise sur le marché français en 1933, bénéficie des progrès réalisés, depuis cinq ans, par le studio, l’art de l’ingénieur du son, celui du metteur en disques. L’enregistrement est mieux « sonnant » : la « proximité sonore », la « présence musicale », (deux des qualités indispensables à la musique de conserve, et les plus rares, naguère) y sont réalisées à notre pleine satisfaction. La perspective instrumentale y est traitée à la perfection (aiguille douce pour l’édition « Columbia », aiguille forte pour l’édition « Gramophone », moins sonore).

Constatons ensuite que « Columbia » est arrivé à faire tenir ce vaste morceau sur dix faces, et qu’il en faut onze, chez Gramo. L’acheteur ne lasse pas d’être sensible à cette considération. En particulier, le premier temps (« Allegro ma non troppo ») tient en six faces avec Kreisler, en cinq, avec Szigeti.

Cette importante différence n’est pas due seulement à l’inégale longueur de la grande « Cadence », où Kreisler se déploie, tandis que son concurrent (qui emprunte la sienne à Joachim) semble l’avoir un peu comprimée. Car Bruno Walter attaque d’emblée ce mouvement d’une façon plus vive, suffisante à elle seule pour expliquer ce « gain » de quatre minutes, sur un total d’environ vingt-cinq.

Mais ce « gain », qui réjouira peut-être la clientèle, fait-il pareillement l’affaire de l’auditeur ?
Je suis loin de le penser. L’orchestre allemand laisse à ce premier mouvement toute la lenteur mystérieuse et enveloppante que Beethoven lui avait donné : il lui garde sa poésie profonde, sa démarche de rêverie, son humanité tendre et douloureuse. L’orchestre anglais en fait quelque chose de plus brillant et romantique, il accuse les heurts, les timbres, et, par ce seul changement de rythme, lui inflige une très légère corruption de vulgarité.

Jean Richard BLOCH


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